La crise du Covid-19 a éclipsé l’agitation sociale liée à la réforme des retraites. Après deux mois de grève des transports, 40 000 amendements sur le projet d’une loi sortie au forceps de l’article 49.3, la crise sanitaire a conduit à repousser sine die les aspects financiers. Pourtant sans confinement, la fièvre de la dette n’est pas près de baisser.

La conférence sur le financement qui devait s’achever fin mars n’a plus aucun sens. Avec la crise économique, les projections financières du Conseil d’orientation des retraites (COR) sont d’ores et déjà obsolètes. Le déficit prévu en 2025 – entre 10 et 17 milliards – sera multiplié par un chiffre que nul ne peut encore prévoir. Les mesures d’urgence pour soutenir l’économie creuseront les déficits sociaux et budgétaires ; rappelons qu’à la suite de la crise de 2008, l’âge de départ avait été repoussé à 62 ans en 2010.

Une telle récession réduit la masse des cotisations sociales, mais aussi ce que les économistes appellent la croissance potentielle. De 1,5 % par an avant de 2008, elle a été réduite à 1,2 après. Que sera-t-elle après cette nouvelle crise ?

Or, l’écart entre cette croissance des revenus, alimentant les recettes de la sécurité sociale, et les besoins liés au vieillissement, est la pierre angulaire soutenant le précaire édifice de la sécurité sociale. Cela est d’autant plus prégnant que chacun perçoit aujourd’hui à quel point l’édifice n’a jamais été aussi utile. Que l’écart s’accroisse et le château de cartes s’effondre.

Le recul devant l’obstacle de la réforme, propre au cavalier français, va encore lui faire perdre du terrain par rapport au peloton des autres pays européens.

Economie de la santé ou santé de l’économie ?

Hormis quelques gogos, l’ampleur du danger sanitaire est perçue par l’immense majorité des Français. Professeurs et experts médicaux sont écoutés. En grande partie, leur parole s’impose aux décideurs politiques. Au nom de la prudence sanitaire, les décisions les plus contraignantes sont acceptées par la population.

Il n’en va pas de même pour les économistes. Tant auprès du public que des élites, leur parole n’a pas la même crédibilité. Les tsunamis sanitaires n’entachent pas la médecine de son auréole scientifique quand les crises économiques font douter qu’elles relèvent d’une quelconque science. Une telle injustice envers les experts du chiffre – si injustice il y a – doit beaucoup à l’inconséquence des politiques de gestion de la nation qui depuis quatre décennies jouent sur les constats et les prévisions comme on joue aux dés. De fait, comment croire qu’après quarante ans de déficit chronique du budget de la Nation, s’applique un quelconque principe de précaution aux finances publiques ? Deux raisons expliquent une telle inconséquence.

D’une part, il est toujours tentant (et plus facile) de croire le danger toujours pour le lendemain. Marque, au mieux d’un manque de courage politique au pire d’une coupable béatitude, depuis sa création en 2002, le COR a toujours péché par un incompréhensible optimisme dans ses projections. Année après année, démentis des prévisions après démentis des prévisions, rien n’est venu troubler la conscience des membres du Conseil. Retour au plein emploi et croissance en hausse sont traditionnellement annoncés pour le printemps prochain avant que chaque constat n’en démontre la vanité. Cet optimisme de l’autruche à un effet certain : rendre plausible l’action à moindre coût politique, lorsque la réalité économique appelle à des réformes structurelles, audacieuses, voire politiquement risquées.

D’autre part, il y a toujours eu des économistes, certes marginaux, pour justifier cet excès d’optimisme. Parole bénie pour les partisans du statu quo. Or, si le scepticisme est utile pour le débat et éprouver les convictions, il n’exempte pas de toute responsabilité.

Le système des conférences de « consensus » qui cadre les décisions des experts médicaux relativise la communication intempestive de tout « scientifique franc-tireur » porteur de quelque remède « miracle ». L’actuelle crise du Covid-19 illustre à nouveau cette robustesse de la parole médicale, qui fait entrer dans le mécanisme de vérification scientifique les propositions de tel ou tel professeur avant validation. La santé publique mérite une telle méthode.

Vouée aux calculs à court terme de décideurs frileux ou aux moindres poussées de fièvres sociales, la santé budgétaire n’a pas cette chance. C’est le cas du débat sur l’équilibre financier du système des retraites, ajournée et toujours en sursis, et qui souffre d’être exposé à tous les vents politiques. La solution n’est certes pas simple tant elle doit être radicale : passer la réforme au confinement et ne l’en sortir qu’une fois trouvée la solution à son équilibre financier.

François Jeger, Olivier Peraldi

Co-fondateurs de C&C