La focalisation sur les morts de la crise sanitaire ne doit pas masquer la morbidité de l’impact économique des confinements. Les victimes « économiques » de la crise seront pourtant au moins huit fois plus nombreuses. Retour sur un décompte macabre.
La Covid-19 touche bien plus les personnes âgées que les autres : l’âge moyen des morts est de 81 ans. Ce chiffre a été à l’origine d’un malentendu disant que les victimes de la Covid-19 n’ont perdu qu’une année de vie puisque l’espérance de vie est de 82 ans ; raccourci statistique erroné, puisque 82 ans est l’espérance de vie à la naissance. Si une femme atteint 81 ans, son espérance de vie est encore de 10 ans ; 8 ans pour un homme.
Pour calculer les années de vie perdues, il convient de multiplier pour chaque génération le nombre de décès par le nombre d’années restant à vivre. A titre d’exemple, les 200 décès d’hommes de la génération 1956 (64 ans en 2020) du fait de la Covid-19 à la fin du mois de novembre, aura représenté 4 000 années de vie perdues, le restant d’espérance de vie de cette génération étant de 20 ans.
Par ce calcul, il apparaît que les victimes ont, en moyenne, perdu dix ans de vie ; ce chiffre étant d’ailleurs sensiblement identique pour les hommes et pour les femmes. Ainsi, le bilan de 65 000 morts de la Covid-19 en France comptabilise plus de 650 000 années de vie perdues.
Huit fois plus de victimes « économiques » que « sanitaires »
La crise économique consécutive aux confinements fera d’autres victimes à long terme, tant la perte d’emplois et l’appauvrissement conduisent à une dégradation de la santé. Cette dégradation est un effet direct mesurable. Le ralentissement de l’économie va peser, et pour longtemps, sur les ressources publiques consacrées à la santé. Pour mémoire, alors que la croissance potentielle de la France était passée de 2 % à 1 % suite à la crise de 2008, elle risque d’être purement et simplement nulle pour les années qui s’annoncent. Les ressources de la protection sociale n’augmenteront plus ; et chacun sait que la montée de l’exclusion et de la pauvreté ne pourra pas être totalement évitée même avec les politiques publiques de relance.
Si aucune modélisation exhaustive n’est envisageable, pour autant il est d’ores et déjà possible d’anticiper le volume de victimes « économiques » dues à l’ensemble de la crise. Pour obtenir un ordre de grandeur des vies humaines perdues, il convient de s’appuyer sur les données de l’Insee reliant le niveau de vie et l’espérance de vie (Insee première, n°1687, février 2018).
Un individu percevant moins de 910 € / mois de revenus a une espérance de vie moindre de cinq ans (82 ans versus 86 ans pour les femmes et 74 ans versus 80 ans pour les hommes) que celui ayant un niveau de vie médian, aujourd’hui de 1 600 € / mois. Les raisons en sont connues : moins bonne alimentation, renoncement aux soins, abus de tabac et d’alcool…
Parmi les victimes économiques de la crise (chômeurs, jeunes précaires, auto-entrepreneurs, commerçants ou restaurateurs déposant leur bilan…), le risque n’a jamais été aussi grand de se retrouver durablement dans les zones de pauvreté des minimas sociaux. L’ordre de grandeur de ces « déclassés » pourrait être d’un million soit… un actif sur 30.
Huit fois plus… et sûrement plus encore
En multipliant ce chiffre par les cinq années de vie perdues du fait de la pauvreté, le calcul aboutit à 5 millions d’années de vie perdues, soit huit fois plus que pour les victimes « sanitaires » de la Covid-19. Cette estimation rapide est assurément un minimum.
D’une part, seul est pris en compte le déclassement socio-économique d’un actif sur 30. Il faudrait ajouter des suicides, des renoncements aux soins, et surtout les effets de la future cure d’austérité de la protection sociale qui ne pourra être évitée.
D’autre part, les 650 000 années perdues des victimes « sanitaires » pourraient être revues à la baisse. Dans ce calcul, il est supposé que les victimes « sanitaires » auraient eu la même espérance de vie que les autres personnes de leur âge, hypothèse forte puisqu’elles étaient souvent plus vulnérables. Si le dénominateur est plus faible que 650 000, le rapport est alors supérieur.
Si l’ordre de grandeur des futures victimes « économiques » de la crise mérite d’être évoqué, cela ne remet pourtant pas en cause la politique de confinement. Sans elle, la pandémie se serait développée sans limite.
Mais, le nombre des victimes « économiques » souligne, à lui seul, l’importance de bien cibler le confinement. Disposions-nous des études épidémiologiques sur les risques de transmission dans les commerces, les cinémas et les autres lieux interdits ? Ces données auraient permis de mieux cibler les restrictions. Le confinement est une artillerie lourde : il faut donc bien viser la cible.
François JEGER
Co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté