Entre le réseau et la mobilité, la SNCF ne sait plus où donner de la dette. Plus de 41 milliards d’euros pour les infrastructures et près de 9 pour le transport, les arriérés à grande vitesse de l’entreprise publique vont à pleine vapeur. La réforme de la SNCF annoncée par le gouvernement suffira-t-elle à faire baisser la pression ?
A ne regarder que les 680 millions d’euros de résultat net dégagés par la SNCF en 2017, certains ont pu qualifier l’exercice budgétaire de l’entreprise publique de « bon millésime ». Un terme bien optimiste pour un résultat bien modeste. Aussi impliquant que l’annonce d’un train arrivant à l’heure qui, comme chacun le sait, ne fait pas (encore) l’actualité. Car bien plus que dans le résultat net l’actualité se trouve dans son rapprochement avec la catastrophe ferroviaire d’une dette qui aura dans le même temps augmentée de 1,7 milliard d’euros, atteignant un « retard de paiement » de 50 milliards ! Soit plus de deux points du PIB national…
Quoi d’étonnant à ce que la publication des comptes de l’entreprise ferroviaire fin février, entraîne début mars un coup de sifflet gouvernemental engageant une réforme ? Il conviendrait plutôt de s’étonner qu’une telle dette ait pu ainsi s’accumuler pendant des années sans que rien ne soit sérieusement entrepris pour en freiner la course folle voire, rêvons un peu, espérer la résorber.
Une réforme à très grande vitesse
Comme les horaires de train les jours de grand froid, toute idée d’évolution de la SNCF a été jusqu’alors objet d’interminables supputations, interprétations et autres spéculations. Les rapports publics ne se comptent plus. Les mesures avortées ou jamais tentées non plus. Résultat : l’engourdissement plus que décennal de la raison budgétaire, avec la coupable complicité des divers gouvernements s’accommodant du double artifice d’un système soutenu à bout de bras année après année par le contribuable, et d’une dette hors contrôle. Autant le dire tout net : l’attelage est arrivé en bout de voie.
Entre 1997, date de la séparation du gestionnaire de réseau RFF, et 2014, date de son retour dans le giron de la SNCF, tout a été fait pour occulter dans le débat public les conséquences à terme du déficit chronique de l’entreprise publique. Louis Gallois, alors président de l’entreprise s’en justifiait publiquement en soulignant qu’il était plus facile de manager une entreprise proche de l’équilibre que structurellement déficitaire. Certes, la séparation était artificielle, puisque les agents de la SNCF continuaient d’entretenir et développer le réseau de RFF. En 2014, dernière année de séparation comptable, la SNCF percevait plus de RFF (5,5 milliards) qu’elle ne lui versait de péage (3,7 milliards). Le mistigri avait ainsi changé de main, sans pour autant disparaître des comptes. La fusion de 2015 entre les deux groupes « Sncf mobilités » et « Sncf réseau » n’a pas inversé la donne économique.
Le motif principal de la situation actuelle est identifié : des investissements colossaux dans des lignes grandes vitesses promises à n’être pourtant jamais rentables sous cette forme. Les décisions de les engager n’ont pas été économiques mais politiques. Décisions prises à cause de pressions d’élus locaux soucieux de rapprocher leur région de Paris, ou parfois de lobbies tel celui des viticulteurs des Côtes du Rhône qui ont poussé à un arbitrage présidentiel en faveur d’un tracé du TGV Sud plus onéreux d’un milliard d’euros par rapport aux prévisions.
50 milliards d’euros de dette
Si la dette publique était restée contrôlable, ces investissements auraient pu se justifier au nom des futures générations qui en auraient bénéficié. Mais avec une dette de cinquante milliards, l’entreprise ferroviaire doit lancer chaque année cinq milliards d’obligation à 2 % d’intérêts pour assurer le remboursement des emprunts précédents et donc un milliard d’intérêts.
Mais quand la charge de la dette devient plus lourde que la capacité de dégager du trafic les moyens de la financer, cette dette devient « boule de neige ». Ainsi, par exemple, la ligne entre Tours et Bordeaux, concédée au groupe privé Lisea dans un partenariat privé public, fait perdre à la SNCF 7 € par voyageur, malgré une relative bonne fréquentation.
Le frein au partenariat public-privé (PPP) est l’impossibilité de soulever de l’emprunt public. Sa conséquence est trop souvent un déficit courant du compte d’exploitation qui alimentera néanmoins la dette (de la SNCF mobilité et non plus du réseau). Le recours au PPP pour la SNCF a été un artifice qui ne résout pas le problème du financement. Le bouclage financier avec trois régions et cinquante autres collectivités locales avait déjà fait l’objet de vives critiques de la part de la Cour des Comptes en octobre 2014. Depuis, la situation s’est dégradée, certaines Régions n’ayant pas honoré leurs engagements, ajoutant ainsi au besoin d’emprunt.
La dette de RFF, maintenant SNCF-réseau, avait été sortie en 1997 des critères de Maastricht, sous prétexte que les subventions devaient, à terme, être minoritaires dans les recettes. Le tour de passe-passe des comptables nationaux pourrait revenir en boomerang si l’Etat envisageait de reprendre une partie de la dette ferroviaire… alors que la dette publique continue de croître pour dépasser bientôt le seuil de 100 %. Un autre bolide à grande vitesse que nul conducteur ne sait arrêter.
François JEGER et Olivier PERALDI
Co-fondateurs de l’Institut Chiffres & Citoyenneté
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