Rapports publics : beaucoup de travaux pour peu d’impact

Selon l’IREF, près de la moitié des rapports de la Cour des Comptes restent sans effet.

Il n’existe certes aucun lien entre la pertinence d’un rapport parlementaire ou d’inspection générale et la mise en œuvre de leurs mesures. Les rapports enterrés avant d’avoir été lu ne se comptent plus, quand bien même leurs conclusions seraient accablantes pour la gestion politico-administrative. Ce pourrait-il qu’ils soient « oubliés » pour ces raisons mêmes ?

Sur soixante-treize rapports de la Cour des comptes publiés entre 2007 et 2012, trente-et-un n’ont jamais eu la moindre de leurs propositions reprise par les pouvoirs publics. Les analyses de la Cour des comptes semblent beaucoup plus intéresser les observateurs d’outre-Rhin que les décideurs français. Après avoir décortiqué les travaux de la Cour des comptes, l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), think tank européen, conclut que seuls sept rapports ont vu leurs conclusions suivies intégralement1.

Le décalage entre l’intention de vigilance active de la Cour des comptes et ce qui, finalement, apparaît comme une machine tournant à vide n’échappe pas aux chercheurs allemands qui terminent cruellement leur enquête sur « l’inutilité » de la Cour aux yeux des Français… Parmi les chances manquées, le dossier serpent de mer du régime des intermittents du spectacle illustre l’aphonie de la Cour des comptes qui malgré trois rapports indiquant l’impérieuse nécessité de réformer un système engloutissant à lui seul chaque année un tiers des quatre milliards d’euros de déficit de l’assurance chômage au bénéfice de seulement 100 000 personnes2, sans être entendue.

Mais il n’y a pas que du mou dans la courroie de transmission entre la décision d’agir et bon nombre de travaux produits par la Cour des comptes ou d’autres les instances de contrôle et de réflexion. Les interventions des inspections générales n’échappent pas au phénomène d’inflation des travaux sans pour autant que l’action administrative en sorte renforcée. Le dévoiement de leur intervention bien au-delà de leurs missions de contrôle puis d’évaluation, missions premières et fondamentales, est un trait caractéristique apparu dès les années 90.

En permettant aux membres des grands corps tels que les conseillers d’Etat, ceux de la Cour des comptes ou encore de l’inspection des finances de gérer directement de grands services d’administration centrale, de coordonner parfois des missions interministérielles, voire de représenter le gouvernement, la France se démarque des limites respectées par les pays comparables. Contrairement à ce qui se pratique couramment dans l’Hexagone, jamais un agent du General accounting office se verrait confier aux Etats-Unis une mission de gestion d’un service fédéral. Comme le relevait déjà dans les années 80 Marie-Christine Kessler, une telle situation serait vécue outre-Atlantique comme une hérésie au principe de séparation des pouvoirs3. En France, nul n’en parle.

 

(1) Iref, Les rapports de la Cour des comptes, beaucoup de bruit pour rien, 2014.

(2) 2003, 2009, 2013.

(3) Marie-Christine Kessler, directrice des études au Cnrs, Les grands corps de l’Etat, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 1986.