La dépendance des personnes âgées est aujourd’hui un nouveau risque sanitaire et social. Elle le sera encore plus demain avec l’arrivée massive des papy-boomers. Le financement n’est toujours pas assuré et le contexte social et économique ne permet par d’en faire une nouvelle branche de la sécurité sociale. La recherche de nouvelles recettes passe par une réflexion sur l’équité entre les générations.

Le gouvernement a annoncé une loi pour la dépendance des personnes âgées. Ce n’est certes pas la première fois tant les raisons démographiques et sanitaires sont connues depuis longtemps. Pour autant, de nouveaux freins à la réforme et au financement pérenne surviennent avec la crise des personnels des maisons de retraite et des services d’aide à domicile, alors qu’à l’horizon 2025 se profile déjà la vague du papy-boom.

Depuis la création en 2002 de l’allocation personnalisée à l’autonomie, et la médicalisation des maisons de retraites, beaucoup a été annoncée et peu a été fait. En 2010, la réforme dite du « 5ème risque » a été ajournée, suites de la crise économique de 2008 obligent. Les excédents prévus de la CNAF n’ont pas été réalisés et le gouvernement ne voulait pas faire d’une 5e branche un nouveau « trou » de la sécurité sociale, tant l’enjeu reste celui du financement. La loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015 a contourné le problème sans le régler, en ignorant le champ des établissements et en traitant à la marge le maintien à domicile. Quatre ans et deux concertations après, l’essentiel reste à faire.

Continuer à poursuivre une chimère ?

Remis en juin 2019, le rapport Libault souligne la question financière, et celui de l’ex-ministre El Khomri, publié en octobre dernier, le désarroi des métiers du grand âge. Leurs conclusions sont sans surprise : il faut 9 milliards d’euros.

Les promesses de progrès social ne sont pas oubliées : réduction du reste à charge en établissement pour les résidents à faible revenus, prise en charge totale pour les personnes dont la période d’accueil en dépendance dépasse la moyenne des trois ans d’espérance de vie une fois entré en établissement. Trouverons-nous l’argent ? Souvenons-nous qu’en 2010, un plan analogue préparé par le ministère des affaires sociales et portant sur « seulement » 1,5 milliard n’avait pas abouti.

Dans un contexte où toute augmentation des prélèvements obligatoires est écartée – leur taux en France (47,6 %) étant le plus élevé d’Europe – les pistes de financement restent très hypothétiques. La fameuse CRDS, Contribution pour le remboursement de la dette sociale, instaurée en 1996 pour apurer le déficit de la sécurité sociale, devrait, si l’on en croit la loi organique qui l’a créé, s’éteindre en 2023. Ces 0,5 % de taxe sur les revenus seraient remplacés par une taxe équivalente fléchée vers la dépendance.

Las, contrairement aux prévisions de Bercy d’un excédent des comptes de la sécurité sociale, 2019 se sera finalement soldé d’un… déficit de 5 milliards d’euros. Difficile dans ces conditions d’imaginer l’extinction de la dette à échéance 2023, sauf à poursuivre une chimère.

En attendant, le temps passe. Les conditions de réforme s’étiolent sous le coup de nouvelles crises ; sous le coût de nouvelles nécessités. Qui peut encore croire que la dette de la sécurité sociale pourrait s’éteindre en quelques années alors que les hôpitaux révèlent leurs tensions, financières et de personnel, et que le pays connaît une pénurie de médecins ?

Vieux d’à peine plus de six mois, le rapport Libault voit surgir en travers de ses pistes pour le grand âge, les injonctions du monde de la santé, celles du déséquilibre financier des retraites, ou encore et plus largement, celles qui couvent toujours sous les cendres encore chaudes des gilets jaunes.

Financer la dépendance ? Oui, mais comment ?

Une fois encore, les événements démontrent qu’en matière de conduite de l’action politique, les plans paraissant les plus instruits sur le domaine technique sont trop souvent dépassés par l’actualité sociale.

Assurer l’équilibre entre dépenses et recettes de la sécurité sociale relève de la quadrature du cercle. Si la pression pluriannuelle sur les dépenses maladie a porté ses fruits en termes de maîtrise de son évolution à la hausse, elle engendre aussi les effets délétères qui agitent aujourd’hui l’hôpital et les soins de ville. Quant aux recettes, elles pâtissent de la non-compensation à la sécurité sociale de 50 % des 17 milliards d’euros concédés à la suite du mouvement des Gilets Jaunes, de l’allègement des cotisations sociales nécessaire pour tenter de recoller au « standard » des pays comparables de l’OCDE, et de la faiblesse de l’activité économique.

L’autre piste de financement de la dépendance consiste à tirer sur le fonds de réserve des retraites quand bien-même celui-ci répond à un tout autre objectif qui est celui de contribuer aux charges de retraite des baby-boomers. D’autant que, nul ne conteste que la réforme des retraites telle qu’annoncée ne pourra pas dégager d’économie à court terme ne serait-ce que parce que certaines catégories relevant des régimes « spéciaux » ont toujours à cœur de maintenir des situations acquises. Le recul pour les retraites des cheminots est déjà amorcé…

Financer maintenant un système capable de surmonter la vague du grand âge suppose, à prélèvement constants, de s’attaquer à l’une des trois branches de la sécurité sociale : famille, maladie ou retraites, le budget de la branche « accidents du travail » étant de ce point de vue négligeable. Eu égard à la crise du système de santé, il y a peu de marges de manœuvre côté maladie. Arbitrer entre les branches famille et retraite sera délicat, car elles sont liées : la natalité détermine, à terme, le rapport entre les actifs et les retraités, élément essentiel dans un régime social par répartition entre les générations au travail et celles en situation d’inactivité.

Pour autant, les coûts de la dépendance ne pourront pas être financés entièrement par l’argent public, alors que les pistes de financement privé sont simplement évoquées dans le rapport Libault et que les deux pistes les plus évidentes sont écartées : l’assurance privée, obligatoire ou non, et le recours sur succession ; cette dernière mesure paraissant particulièrement impopulaire.

Autre piste envisagée : développer le viager immobilier, le dispositif de mutualisation pour gérer l’incertitude sur la longévité des propriétaires reste à trouver; en outre, ce dispositif ne concernerait réellement que les propriétaires d’un logement situé dans les métropoles.

Mobiliser ainsi le patrimoine des familles touchées par la perte d’autonomie d’un proche est un choix qui s’écarte, par ailleurs, du principe phare de la sécurité sociale, qui reste de faire partager les risques entre les différentes générations de la nation. Une recette appuyée sur la transmission de tous les patrimoines, progressive selon leur montant et exonération sous le seuil de 200 000 €, serait plus équitable. Les générations entre 50 et 70 ans disposant en effet d’un capital moyen plus élevé que les autres, ce serait là une recette plus… sociale.

Cette recette aurait l’avantage de progresser à un rythme soutenu avec l’arrivée au grand âge de ces générations privilégiées nées durant les trente glorieuses.

Ce sont d’ailleurs les mêmes générations plus nombreuses qui vont accroître après 2025 les besoins de financement de la dépendance.  Mais, une telle réforme, équitable dans son principe, sera-t-elle socialement acceptable ?

François JEGER et Olivier PERALDI

co-fondateurs de l’Institut Chiffres & Citoyenneté