La Guinée à l’aune de la IVe République (volet 1/4)

Lors de son investiture à la présidence de la République, Alpha Condé a promis des réformes courageuses. La nomination d’un fin connaisseur des rouages de l’Etat au poste de Premier Ministre fait partie d’un pari de la réforme. Un pari qui pèse lourd face au défi d’assurer la stabilité sans laquelle la nouvelle République n’aura été qu’un vœu pieux.

La nouvelle Constitution adoptée par référendum en Guinée en mars dernier préfigure la mise en place d’une IVe République. Face à cette étape cruciale pour la stabilité du pays, le président Alpha Condé a appelé auprès de lui, Kassory Fofana, un réformateur aguerri et fin négociateur ne refusant pas, s’il le faut, à bousculer les conservatismes. Le nouveau Premier Ministre n’est certes pas un inconnu sur la scène Guinéenne, comme dans les milieux économiques et financiers internationaux.

Premier Ministre en 2018, certes pour une courte période, ses réformes de modernisation de l’administration fiscale et de l’enseignement avaient défrayé la chronique. En pleine grève et mouvement de blocage, notamment des syndicats d’enseignants et chercheurs, il lance « vous ne pouvez pas refuser de travailler et exiger d’être payés ! ». Si la réplique a laissé des traces dans les mémoires, il apparaît déterminé à s’attaquer aux situations de précarité présentes dans le pays.

Son retour en tant que chef du gouvernement pourrait lui en donner l’occasion. Faisant de la lutte contre la pauvreté l’un des grands axes de son programme, il souhaite relever le taux de la pression fiscale de 13,5 % à 20 % en 2025. La hausse ne fera certes pas l’unanimité, mais devrait permettre de dégager des marges budgétaires nécessaires à la politique sociale qu’il affirme vouloir mener, avec l’ambitieux objectif de sortir 6 millions de personnes de la misère d’ici 2025.

Des réformes courageuses et… nécessaires

Issu d’une famille de paysan, il a fait de la lutte contre la précarité un axe majeur de son discours politique. Dans un contexte de réforme constitutionnelle, cette dimension sociale est majeure. Les annonces du Premier Ministre sont sans ambiguïté : augmentation de la pression fiscale de 13,5 % à 20 % en 2025 afin de dégager les marges budgétaires nécessaires à la lutte contre la pauvreté. Objectif : sortir 6 millions de personnes de la misère en moins de cinq ans. Partisan d’un discours politique clair et sans concession, Kassory Fofana, fait le pari d’un effort collectif bien compris.

Républicain convaincu, homme de caractère mais déclarant à qui veut l’entendre être ouvert au dialogue, le nouveau Premier Ministre pourrait bien être l’atout maître dans le jeu d’Alpha Condé. Kassory Fofana a déjà pris les devants et affirmant « être là pour écouter et prendre acte des demandes de toutes les formations politiques ». Pourtant, rien n’est joué. Une partie de l’opposition boude les consultations.

L’ascension d’un fils de paysan

Né en 1954 à Forécariah en Basse-Guinée, son ascension au sein de l’administration dans les années 70 et 80 ne passe pas inaperçue du monde économique et politique. Diplômé de la faculté de comptabilité de l’université de Conakry, il intègre en 1978 le bureau d’études du ministère de la coopération internationale en tant que directeur adjoint, puis en 1986 prend la direction générale de la coopération internationale. Un nouveau pas est franchi dans la hiérarchie des responsables de la haute administration d’Etat au début des années 90 lorsqu’il obtient la charge, hautement stratégique, des investissements publics. Il devient alors, un membre influent du premier cercle de président précédent, Lansana Conté.

Bien que ministre sans portefeuille en 1994, il est en charge de la restructuration des entreprises publiques qui accompagne la transition de l’économie Guinéenne d’inspiration socialiste vers une conception plus libérale. En 1996, il est ministre du Budget et de la restructuration du secteur para public, pour, à peine un an après, devenir ministre de l’économie et des finances, poste qu’il occupera jusqu’en 2000. En concrétisant la reprise des relations avec le FMI et la Banque Mondiale, il lance le programme de plusieurs ajustements structurels de la Guinée, puis la lutte anti-corruption qui aboutira à de nombreuses arrestations mais surtout à une économie de 2 % de la masse salariale de la fonction publique, soit 27 milliards de Francs Guinéens sur la masse salariale de la fonction public et donc sur les finances de l’Etat. Dans le même temps, il est gouverneur au titre de la Guinée de la Banque Africaine de Développement et, toujours pour la Guinée, administrateur du Fonds Monétaire International, tout en étant administrateur de nombreuses sociétés publiques et privées guinéennes.

De retour d’un « exil » aux Etats-Unis

En 2000, suite à des réformes qui bousculent certaines positions acquises, il fait face à une fronde et s’exile au Etats Unis. Il en profite pour retourner sur les bancs de l’université et obtenir un doctorat de troisième cycle en développement, finances et banque à l’American University à Washington. Il débute une carrière de consultant international.

Il rentre en Guinée en 2013 et rejoint Alpha Condé, pour, comme il le dit lui-même, une alliance non pas « de circonstance, mais de raison ». Ministre d’État en 2014, chargé des questions d’investissement et des partenariats public-privé (PPP), il coordonne les efforts pour mobiliser les ressources nécessaires aux investissements prioritaires. Il s’engage dans le dossier très stratégique de la diversification des partenariats vers les pays émergents, telle que la Chine. Le nouveau partenaire investira alors 20 milliards de dollars en Guinée.

Olivier COLLAS, Michel HAMOUSIN, membres de Chiffres & Citoyenneté